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Turquie. Can Dündar et Erdem Gül, deux journalistes dans le viseur du pouvoir

Presse. Deux journalistes de « Cumhuriyet » accusés d’espionnage, de tentative de coup d’État, d’assistance à une organisation terroriste après leurs révélations sur des livraisons d’armes turques à Daech.

Derrière les barreaux depuis bientôt trois mois, Can Dündar et Erdem Gül symbolisent à eux seuls le raidissement autoritaire du régime d’Erdogan. Ces deux journalistes du quotidien kémaliste (centre-gauche nationaliste) Cumhuriyet risquent la prison à vie pour avoir fait leur métier en mettant en lumière l’existence de camions d’armes affrétés par les services secrets turcs en 2014 à destination de zones syriennes contrôlées par Daech ou le Front Al Nosra.

Une révélation extrêmement gênante pour le pouvoir turc à une semaine des élections législatives de juin 2015, où l’AKP, parti du Président turc, perdra sa majorité absolue. « Bien sûr cela a eu un retentissement mondial, beaucoup de médias ont repris les informations de Cumhuriyet », commente Cemilé Renklicay, co-Présidente du Conseil démocratique kurde de France, une adversaire résolue du pouvoir en place.

« La Turquie est l’un des pays qui compte le plus de journalistes en prison, des kurdes mais aussi des démocrates turcs. L’État n’hésite pas à s’en prendre à eux directement », poursuit-elle. En effet, trois jours après la publication de l’article, Recep Tayyip Erdogan menaçait à la télévision : « Celui qui a commis ce crime va le payer cher. Il ne s’en sortira pas comme cela » et annonçait qu’il avait personnellement porté plainte contre Can Dündar.

Avec Erdem Gül, ils sont incarcérés à la prison de Silviri à Istanbul depuis le 26 novembre d’où filtrent quelques messages et attendent leur procès prévu le 25 mars en étant accusés par le parquet turc d’« espionnage », de « tentative de coup d’État », d’« assistance à une organisation terroriste ».

Depuis le 1er novembre 2015, des législatives anticipées ont redonné la majorité absolue à l’AKP et l’horizon s’est encore assombri pour les progressistes et les journalistes en Turquie. Recep Tayyip Erdogan a récemment précisé son projet de réforme de la constitution en citant « l’Allemagne d’Hitler » comme un exemple de « régime présidentiel » performant.

Une provocation qui, après un rétropédalage de l’intéressé n’aura pas suscité d’émoi particulier au sein de l’Otan dont la Turquie est membre. « Nous sommes inquiets pour la liberté d’expression, les libertés en général, avec cette réforme constitutionnelle », indique Cemilé Renklicay qui dit craindre que le harcèlement de plusieurs villes kurdes par les forces de sécurité ne tourne à la guerre civile.

La prison et le cimetière

La femme de Can Dündar, Dilek Dündar remue quant à elle ciel et terre pour empêcher sa condamnation et celle de son collègue Erdem Gül. Accompagnée par une délégation de journalistes turcs et de représentants des syndicats de journalistes français, membres de la Fédération internationale des journalistes, elle a poussée la porte du Quai d’Orsay le 8 février pour demander à la France d’agir.

Avant d’être incarcéré, Can Dündar glissait à ses proches : « Mon bureau, au siège du journal, se trouve à un emplacement stratégique : une des fenêtres donne sur un cimetière, l’autre sur le palais de justice… J’ai toujours pensé que cela avait un sens symbolique. En effet, ce sont les lieux les plus visités par les journalistes turcs. »

Il est temps que ça change.

Léo Purguette (La Marseillaise, le 16 février 2016)

Patrick Kamenka. « Être journaliste libre est un combat »

Représentant du SNJ CGT à la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) créée en 1994 dans le cadre de la constitution de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), Patrick Kamenka livre un éclairage sur les luttes de la structure qui regroupe 320.000 journalistes à travers 61 syndicats et associations dans 40 pays.

La Marseillaise. Qu’en est-il du futur procès des journalistes en Turquie ?

Patrick Kamenka. Emprisonnés depuis le 26 novembre 2015, Can Dundar et Erdem Gül risquent la prison à perpétuité pour avoir enquêté sur une livraison d’armes par les services secrets turcs aux groupes djihadistes en Syrie dans un article de mai 2015. Ils étaient aussi les premiers à publier les caricatures de Mahomet, suite à l’épisode Charlie. Aujourd’hui, ils sont inculpés non pas parce qu’ils sont journalistes, mais parce qu’ils sont accusés d’avoir « espionné » ! Ils ont déjà été attaqués personnellement en mai. Leur procès est donc « politique » et non « juridique ». Il s’agit bien là d’une claire attaque contre la liberté de la presse. D’autant que le Président turc, qui se porte ici partie civile, fait parallèlement une traque aux partisans de « Gülen » (secte) et veut, pour éliminer Can et Erdem, maquiller encore plus ce procès. Ces journalistes sont traités comme des criminels avec interdiction de visite du Parti Kurde, un scandale! La Turquie est parmi les premières prisons au monde : 34 journalistes tués (1990/2015), +30 emprisonnés.

La Marseillaise. D’autres journalistes sont menacés. Quel bilan dresse la FIJ ?

Patrick Kamenka. Le 25ème rapport de la FIJ (600.000 adhérents), compte 2.297 décès dans le monde depuis 1990 (112 tués en 2015, inclus). Quand la FIJ (qui est née en 1926), a commencé à publier, il y avait moins de 100 journalistes tués. Après 11 ans, 155 homicides en 2006 ont fait de cette année-là, la plus meurtrière. Si une large partie des meurtres commis, se passe dans des pays où sévissent guerres et conflits armés, le rapport signale : « Beaucoup de journalistes ciblés sont victimes de barons du crime organisé et de fonctionnaires corrompus ». De même : « Il y a plus de journalistes tués en temps de paix que dans des pays dévastés par la guerre ». La FIJ lutte contre l’impunité de ces meurtres et des emprisonnements au regard du manque d’attention accordée à la violence sur les journalistes dans le monde : « Seul un meurtre de journaliste sur dix fait l’objet d’une enquête » !

La Marseillaise. Dans ce contexte, comment la FEJ et la FIJ luttent-elles ?

Patrick Kamenka. Hormis ces tragiques meurtres, les menaces sur les conditions de travail pèsent de plus en plus. Être journaliste Palestinien et être empêché d’aller en Israël est une aberration. Idem en Syrie. Les gouvernements veulent mettre le couvercle pour empêcher le suivi, or c’est le contraire de la définition même de la profession. On défend les conditions de travail nécessaires et le pluralisme dans les médias. En France, par exemple, les journaux indépendants se comptent sur les doigts et que fait le gouvernement pour aider plus les journaux à faibles ressources ? Nous voulons que les journalistes reviennent au centre des débats. Ce sera l’objet du 29ème congrès de la FIJ, du 7 au 10 juin à Angers.

Propos recueillis par Houda Benallal (La Marseillaise, le 16 février 2016)

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Turquie. Can Dündar et Erdem Gül, deux journalistes dans le viseur du pouvoir

le 16 février 2016

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